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L’IAS/SAI pourrait-elle remplacer l’effet de refroidissement perdu grâce à la dépollution de l’air ?

En plus de favoriser le changement climatique, la combustion des combustibles fossiles crée une pollution atmosphérique toxique qui tue des millions de personnes chaque année. Cette pollution bloque une partie de la lumière du soleil, produisant un effet de refroidissement considérable dans le monde entier. À mesure que les pays mettent en place des politiques de lutte contre la pollution atmosphérique qui sauvent des vies, cet effet de refroidissement disparaît, accélérant ainsi le changement climatique. La libération de particules dans la stratosphère pourrait-elle contribuer à contrecarrer ce phénomène ?

Principaux points à retenir:

  • La pollution atmosphérique due aux combustibles fossiles tue des millions de gens chaque année, mais elle a aussi un effet de refroidissement important.
  • Les initiatives en faveur de la pureté de l'air, bien que cruciales pour la santé humaine et de l'écosystème, réduisent cet effet de refroidissement.
  • L'injection d'aérosols dans la stratosphère (IAS/SAI) permettrait de libérer des particules à haute altitude dans l'atmosphère, où elles auraient un effet de refroidissement beaucoup plus important et un impact moindre sur la santé humaine, mais certains risques subsistent.

Le 5 décembre 1952, un smog jaunâtre et nauséabond s’est installé sur Londres. Lorsque le smog s’est dissipé quatre jours plus tard, il avait tué environ 12 000 personnes et en avait hospitalisé 150 000 autres. La pollution atmosphérique – et plus particulièrement le dioxyde de soufre (SO2) émis par la combustion du charbon contenant des quantités nocives de soufre – en était responsable.

Heavy smog in Piccadilly Circus, London, 6th December 1952.(Photo by Central Press/Hulton Archive/Getty Images)

Picadilly Circus pendant le smog de 1952 à Londres (Photo : Central Press/Hulton Archive/Getty Images).

Le smog de 1952 à Londres et d’autres incidents très médiatisés ont inspiré des efforts pour purifier l’air des polluants industriels, d’abord en Europe et en Amérique du Nord, puis en Asie, à mesure que la pollution industrielle se déplaçait.1 Malgré ces efforts, la pollution atmosphérique particulaire tue encore plus de 4,5 millions de personnes par an.

La pollution par les particules de soufre a un autre effet secondaire : elle abaisse les températures, masquant ainsi partiellement le réchauffement climatique d’origine humaine.2 L’injection d’aérosols dans la stratosphère (IAS/SAI) pourrait-elle contrecarrer le réchauffement qui accompagne la dépollution particulaire ?

Injection d’aérosols stratosphériques

IAS/SAI, la méthode de réflexion de la lumière solaire la plus étudiée, est une idée visant à abaisser les températures mondiales en ajoutant continuellement de petites particules à la stratosphère – le niveau de l’atmosphère qui commence 7 km à 20 km au-dessus de la surface de la Terre.3 Les particules resteraient sur place pendant un à deux ans, réfléchiraient la lumière du soleil et feraient baisser les températures.4

Les particules de sulfate sont les candidates les plus étudiées pour l’IAS en raison de leur effet de refroidissement observé à la suite d’éruptions volcaniques de grande ampleur.4 Il existe un nombre plus restreint d’études sur le potentiel de refroidissement d’autres particules, telles que la calcite.5

Des scientifiques ont suggéré que la libération de particules de soufre dans la stratosphère pourrait avoir un effet de refroidissement similaire à celui de la pollution atmosphérique, tout en réduisant l’exposition aux polluants dangereux.4 Cependant, la libération de particules de soufre aurait toujours des effets secondaires, notamment sur la santé humaine.6

Pollution atmosphérique et changement climatique

Le changement climatique anthropique et la pollution atmosphérique sont liés. La combustion de combustibles fossiles émet des gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone (CO2) qui persistent dans l’atmosphère pendant des siècles7 ainsi que des polluants à courte durée de vie qui ont également des incidences sur le climat. Certains polluants à courte durée de vie, comme le SO2, restent dans la basse atmosphère pendant des jours, voire des semaines,8 tandis que d’autres, comme le méthane, peuvent y demeurer pendant des années, voire des décennies.

Différents polluants affectent le climat de différentes manières. Par exemple, le méthane est un puissant gaz à effet de serre qui contribue au réchauffement, tandis que les particules de sulfate, qui se forment lorsque le SO2 réagit avec d’autres composés dans l’atmosphère, réfléchissent la lumière du soleil et interagissent avec les nuages, produisant un fort effet de refroidissement.2

Les particules fines, telles que les sulfates, peuvent pénétrer profondément dans les poumons et potentiellement dans la circulation sanguine, provoquant des problèmes respiratoires et cardiaques.

Un air plus pur, un changement climatique plus rapide

Les normes de qualité de l’air visent à protéger la population des polluants, notamment du SO2 et des particules de sulfate. Les efforts visant à réduire la pollution par le soufre varient d’un pays à l’autre, mais les émissions mondiales ont chuté de 141 millions de tonnes en 1979 à environ 73 millions de tonnes en 2022.

La réduction de la pollution par les sulfates est essentielle pour la santé humaine, mais l’élimination de ce polluant supprime son effet rafraîchissant. Alors que les différents pays et la communauté internationale s’efforcent d’éliminer la pollution par les particules de sulfate, certains modèles climatiques prédisent que le réchauffement de la planète va s’accélérer au cours de cette décennie.9

En 2020, de nouvelles réglementations internationales ont introduit des limites plus rigoureuses sur les niveaux de soufre dans le carburant d’expédition afin de lutter contre la pollution. Cet effort a permis de réduire de plus de deux tiers les émissions de SO2 provenant du transport maritime.

Shipping regulations produce step-change in pollution

Against a backdrop of slowly falling emissions, a new standard for sulphur in marine fuel oil introduced in 2020 slashed SO2 emissions from shipping.

Sulphur dioxide emissions by sector

2019

10.4Mt

Energy

Industry

Transport

Shipping

Leaks

Shipping

2020

3.0Mt

150

million tonnes

125

100

75

50

25

0

’22

’00

1900

’75

’50

’25

Source: Community Emissions Data System (CEDS)

Shipping regulations produce step-change in pollution

Against a backdrop of slowly falling emissions, a new standard for sulphur in marine fuel oil introduced in 2020 slashed SO2 emissions from shipping.

Sulphur dioxide emissions by sector

Energy

Leaks

2019

10.4Mt

Industry

Shipping

Transport

150

million tonnes

Shipping

125

2020

3.0Mt

100

75

50

25

0

2022

2000

1975

1950

1925

1900

Source: Community Emissions Data System (CEDS)

Shipping regulations produce step-change in pollution

Against a backdrop of slowly falling emissions, a new standard for sulphur in marine fuel oil introduced in 2020 slashed SO2 emissions from shipping.

2019

10.4Mt

Sulphur dioxide emissions by sector

Leaks

Energy

Industry

Transport

Shipping

150

million tonnes

Shipping

125

100

2020

3.0Mt

75

50

25

0

2022

2000

1975

1950

1925

1900

Source: Community Emissions Data System (CEDS)

La diminution des émissions de SO2 provenant des navires pourrait avoir partiellement dévoilé les effets du réchauffement climatique des gaz à effet de serre. Les modèles climatiques suggèrent que les nouvelles réglementations pourraient entraîner une augmentation des températures mondiales de 0,05°C d’ici 2050. Certains chercheurs ont trouvé des preuves que les nouvelles réglementations ont contribué à l’augmentation des températures,10 mais d’autres ne voient pas de signal distinct sur cette courte période.11

L’IAS/SAI pourrait-elle jouer un rôle dans le ralentissement du réchauffement climatique ?

La pollution atmosphérique a des effets négatifs considérables sur la santé. Mais sa dépollution révélera l’ampleur du réchauffement causé par les émissions de gaz à effet de serre, ce qui augmentera les risques sanitaires et environnementaux posés par le changement climatique.

Paul Crutzen, un scientifique néerlandais, a suggéré que l’IAS/SAI pourrait être en mesure de remplacer l’effet de refroidissement à mesure que la pollution par les sulfates diminue, et ce avec une fraction des impacts sur la santé et l’environnement.4 Il a fait remarquer que l’IAS/SAI nécessiterait une plus petite quantité de soufre pour produire le même effet de refroidissement que la pollution par les sulfates et qu’elle serait mise en œuvre en altitude très élevée par rapport à la surface, loin de la population.

Toutefois, des recherches ultérieures ont mis en évidence que l’IAS/SAI s’accompagnerait également de risques liés à la pollution de l’air.12 L’IAS/SAI pourrait contribuer à la pollution particulaire, puisque les sulfates stratosphériques finissent par atteindre la basse atmosphère. Une étude a révélé que la dégradation de la qualité de l’air due à l’IAS/SAI pourrait contribuer à quelque 7 400 décès prématurés pour 1°C de refroidissement. 6,13

L’IAS/SAI modifierait également la chimie atmosphérique. Plus précisément, l’IAS/SAI aurait des incidences sur l’ ozone stratosphérique, la couche d’ozone naturellement présente en haute atmosphère qui empêche les rayons ultraviolets nocifs d’atteindre la surface de la Terre.6

L’IAS/SAI pourrait retarder la reconstitution de la couche d’ozone, qui a été endommagée par l’activité humaine. La réduction de l’ozone stratosphérique peut entraîner une diminution de l’ozone troposphérique, un polluant dangereux.14 Cependant, les décès par cancer de la peau dus à la réduction de l’ozone stratosphérique risquent d’augmenter dans certaines régions.15

M. Crutzen, qui a remporté un prix Nobel en 1995 pour ses travaux sur les dommages causés à la couche d’ozone stratosphérique, était conscient des nouveaux risques posés par l’IAS/SAI. Il considérait la mise en œuvre de l’IAS/SAI comme un dernier recours, mais estimait que les risques liés à l’IAS/SAI pourraient s’avérer faibles par rapport aux impacts climatiques qui seraient évités. Cette intuition est étayée par les résultats d’une étude publiée en 2024, selon laquelle la diminution du nombre de décès liés à la température résultant du déploiement de l’IAS/SAI compenserait largement l’augmentation des décès dus aux effets secondaires de l’IAS/SAI.16

Atteindre les objectifs climatiques mondiaux par la seule réduction des émissions est-il un « vœu pieux » ?

M. Crutzen a souligné que la meilleure option serait de réduire les émissions jusqu’à ce que l’IAS/SAI ne soit plus nécessaire.4 Il s’inquiète toutefois du fait que « cela ressemble à un vœu pieux ».4

Depuis la publication de son article controversé de 2006, les émissions annuelles mondiales de CO2 ont augmenté de plus de 23 %, les émissions de SO2 ont chuté de plus de 40 % et les températures mondiales ont augmenté d’ environ 0,6°C.

Les pays s’éloignent actuellement de la voie à suivre pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Pour atteindre ces objectifs, les pays devraient accélérer considérablement la réduction des émissions et déployer ultérieurement des méthodes à grande échelle pour éliminer le CO2 de l’atmosphère. L’IAS/SAI pourrait maintenir les températures en dessous du niveau cible pendant que ces autres approches sont suivies, mais des recherches beaucoup plus poussées sont nécessaires pour comprendre son potentiel et les risques qu’elle comporte.

Questions ouvertes

  • Quelle est l'ampleur de l'effet de refroidissement actuel de la pollution atmosphérique par les particules, et dans quelle mesure l'élimination de ces émissions contribuera-t-elle au réchauffement planétaire au cours des prochaines décennies ?
  • Quelle pourrait être l'ampleur de l'impact du déploiement d'IAS/SAI sur la pollution de l'air en surface ?
  • Quels pourraient être les impacts globaux sur la santé de la lutte contre le réchauffement climatique par le déploiement de l'IAS/SAI ?

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Notes de fin d'ouvrage

  1. Fowler D, Brimblecombe P, Burrows J, et al. (2020). A chronology of global air quality: The development of global air pollution. Philosophical Transactions of the Royal Society A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences. Royal Society Publishing. https://doi.org/10.1098/rsta.2019.0314
  2. GIEC. (2023). Facteurs de forçage climatique à courte durée de vie. Dans Changement climatique 2021 – Les bases scientifiques physiques (pp. 817–922). Cambridge University Press. https://doi.org/10.1017/9781009157896.008
  3. La hauteur de la base de la stratosphère dépend de la latitude. Près de l’équateur, la stratosphère commence à environ 20 km au-dessus de la surface. Près des pôles, la base de la stratosphère se situe à environ 7 km au-dessus de la surface.
  4. Crutzen PJ. (2006). Amélioration de l’albédo par des injections de soufre dans la stratosphère : une contribution pour résoudre un dilemme politique ? Climatic Change. Springer Pays-Bas. https://doi.org/10.1007/s10584-006-9101-y
  5. Keith DW, Weisenstein DK, Dykema JA et coll. (2016). Géo-ingénierie solaire stratosphérique sans perte d’ozone. Proceedings of the National academy of Sciences. 113(52):14910-4. https://doi.org/10.1073/pnas.1615572113
  6. Eastham SD, Weisenstein DK, Keith DW, et al. (2018). Quantification de l’impact de la géo-ingénierie des sulfates sur la mortalité due à la qualité de l’air et à l’exposition aux UV-B. Atmospheric Environment, 187, 424-434. https://doi.org/10.1016/j.atmosenv.2018.05.047
  7. Archer D, Eby M, Brovkin V et coll. (2009). Durée de vie atmosphérique du dioxyde de carbone issu des combustibles fossiles. Annual review of earth and planetary sciences. 37(1):117-34. https://doi.org/10.1146/annurev.earth.031208.100206
  8. Les particules de sulfate utilisées pour l’IAS/SAI resteraient dans la stratosphère pendant 1 à 2 ans au lieu de quelques jours ou semaines. 4
  9. Hodnebrog Ø, Myhre G, Jouan C, et al. (2024). Les récentes réductions des émissions d’aérosols ont accentué le déséquilibre énergétique de la Terre. Communications Earth and Environment, 5(1). https://doi.org/10.1038/s43247-024-01324-8
  10. Gettelman A, Christensen MW, Diamond MS, et al. (2024). La réduction des émissions provenant des navires a-t-elle accéléré le réchauffement de la planète ? Geophysical Research Letters, 51(15). https://doi.org/10.1029/2024GL109077
  11. Watson-Parris D, Wilcox LJ, Stjern CW, et al. (2024). Faibles effets de la température de surface des récentes réductions des émissions de SO2 du transport maritime 1, avec quantification faussée par la variabilité interne. 2 EGUsphere [Preprint]. https://doi.org/10.5194/egusphere-2024-1946
  12. Tracy SM, Moch JM, Eastham SD, et al. (2022). L’injection d’aérosols dans la stratosphère peut avoir une incidence sur les systèmes mondiaux et sur la santé humaine. Elementa. University of California Press. https://doi.org/10.1525/elementa.2022.00047
  13. La pollution de l’air extérieur tue actuellement environ 5 millions de personnes par an.
  14. Xia L, Nowack JP, Tilmes S, et al. (2017). Impacts de la géo-ingénierie des sulfates stratosphériques sur l’ozone troposphérique. Atmospheric Chemistry and Physics, 17(19), 11913–11928. https://doi.org/10.5194/acp-17-11913-2017
  15. Eastham SD, Keith DW, Barrett SRH. (2018). Compromis de mortalité entre la qualité de l’air et le cancer de la peau suite à des changements dans l’ozone stratosphérique. Environmental Research Letters, 13(3). https://doi.org/10.1088/1748-9326/aaad2e
  16. Harding A, Vecchi GA, Yang W, et al. (2024). Impact de la géo-ingénierie solaire sur la mortalité attribuable à la température. Proceedings of the National Academy of Sciences, 121(52). https://doi.org/10.1073/pnas.2401801121

Citation

Kimberly Samuels-Crow (2025) – "L’IAS/SAI pourrait-elle remplacer l’effet de refroidissement perdu grâce à la dépollution de l’air ?" [Article]. Publié en ligne sur SRM360.org. Récupéré de : 'http://srm360.org/fr/article/lias-sai-pourrait-elle-remplacer-leffet-de-refroidissement-perdu-grace-a-la-depollution-de-lair/' [Ressource en ligne]

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