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Crédits de refroidissement : le financement du déploiement des MRS pourrait-il compenser les émissions de CO2 ?

Les « crédits de refroidissement » sont proposés aux entreprises et aux particuliers pour compenser leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2) en investissant dans le déploiement de méthodes de réflexion de la lumière solaire (MRS/SRM), également connues sous le nom de géo-ingénierie solaire. Mais les MRS pourraient-elles réellement compenser les effets des émissions de CO2 ?

Principaux points à retenir:

  • Les effets physiques de la MRS ne sont pas équivalents à une réduction des émissions de CO2 en raison de sa durée de vie beaucoup plus courte et de ses impacts environnementaux différents.
  • Il n'existe actuellement aucune norme permettant de vérifier les allégations relatives aux "crédits de refroidissement" issus du déploiement des MRS, et les décideurs politiques ont reçu des recommandations visant à interdire leur vente.
  • Les crédits carbone visent à stimuler les réductions d'émissions rentables, en s'attaquant à l'un des principaux obstacles à l'action. Néanmoins, les coûts financiers des MRS sont l'une des préoccupations les moins importantes concernant ces technologies.

Les ballons stratosphériques remplis d’hélium sont régulièrement utilisés par les scientifiques et les amateurs pour transporter des instruments scientifiques, des caméras et d’autres objets dans la haute atmosphère. En 2022, une start-up américaine – Make Sunsets – a commencé à réutiliser ces ballons pour des déploiements à micro-échelle d’injection d’aérosols stratosphériques (IAS/SAI).

Son dispositif est rudimentaire : elle remplit manuellement ces ballons d’un cocktail d’hélium et de dioxyde de soufre (SO2)1 – mais ses ambitions sont grandes.

A person fills a balloon using a hose and canister while another person looks on.

Les fondateurs de Make Sunsets remplissant un ballon avant un lancement (Photo : Make Sunsets).

Lancée avec le soutien de quelques investisseurs, elle vend aux consommateurs des « crédits de refroidissement » non vérifiés. En libérant environ un kilogramme de SO2 dans la stratosphère à la fois, ce qui devrait former de nombreuses particules minuscules et réfléchissantes, elle prétend compenser les effets de réchauffement d’une quantité beaucoup plus importante de CO2.2

Ces crédits de refroidissement pourraient-ils réellement compenser les effets du CO2 et des autres gaz à effet de serre ? Et leur échange contribuerait-il à encourager une action climatique rentable, à l’instar des crédits d’émission de carbone ?

Crédits carbone

Le CO2 est un gaz à effet de serre à longue durée de vie,3 qui se disperse à peu près uniformément à l’échelle planétaire en quelques années, quel que soit son lieu d’émission. Cela signifie qu’une tonne de CO2 émise n’importe où est égale à n’importe quelle autre en termes d’impact sur l’environnement.

Toutefois, le coût de l’évitement d’une tonne d’émissions de CO2 est loin d’être cohérent. Certaines sources de CO2 sont très coûteuses, voire impossibles à éliminer, comme les émissions de l’aviation.4 Dans d’autres cas, de petits investissements, par exemple dans l’efficacité énergétique des bâtiments, peuvent conduire à des réductions substantielles des émissions.5

En réponse à ces disparités dans les coûts de réduction des émissions de carbone, des marchés du carbone ont été mis en place. Les gouvernements, les organisations et d’autres ont été autorisés à échanger des « crédits carbone » – au lieu de réduire leurs propres émissions, ils paieraient une entité qui supprime ou réduit les émissions. En substance, un crédit carbone représente une tonne de CO2 ou une quantité équivalente d’autres gaz à effet de serre.

Cela fonctionne-t-il vraiment ?

L’un des principaux défis des crédits carbone consiste à vérifier qu’ils fonctionnent comme prévu et que les réductions d’émissions promises aient réellement lieu.

Chacun des nombreux types de crédit carbone pose ses propres problèmes de vérification. Certains crédits carbone offrent de capturer le CO2 de l’atmosphère et de le stocker dans des formations géologiques. Une telle approche propose en principe une solution vérifiable et durable, quoique coûteuse.

Les crédits carbone les moins fiables comprennent ceux reposant sur des scénarios de référence hypothétiques, impossibles à vérifier et susceptibles d’être manipulés. Par exemple, des compagnies de produits chimiques chinoises ont été payées dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission de carbone de l’UE pour éviter d’émettre des HFC, des gaz à effet de serre extrêmement puissants. Toutefois, ces paiements ont incité les entreprises à produire des HFC en excès afin de pouvoir promettre d’en réduire davantage.

D’autres crédits sont basés sur la promesse de planter ou de protéger des parcelles forestières pendant des décennies. Dans de nombreux cas, ces projets se sont révélés inefficaces ou nettement moins bénéfiques que prévu.6 Nombre d’entre eux ont également porté préjudice aux populations autochtones et aux communautés locales, par exemple en les expulsant de force de leurs terres.

Le CO2 est très durable, tandis que le refroidissement dû aux MRS ne l’est pas

En ce qui concerne les crédits de refroidissement des MRS, il n’existe pas de normes officielles pour calculer l’équivalence entre la quantité de lumière solaire réfléchie et la quantité de CO2 compensée.7 Cependant, les problèmes liés à cette idée vont bien au-delà de la simple vérification du potentiel de refroidissement des MRS.

Par exemple, le CO2 est celui qui contribue le plus au réchauffement climatique, mais il n’est pas le gaz à effet de serre le plus puissant. Au contraire, il est abondant et a une longue durée de vie, persistant dans l’atmosphère pendant des siècles.3

Le méthane, quant à lui, n’a qu’une durée de vie d’environ 12 ans dans l’atmosphère. Toutefois, il se révèle plus efficace que le CO2 pour piéger la chaleur, avec un potentiel de réchauffement climatique environ 30 fois supérieur à celui du CO2. Cela signifie qu’en moyenne sur 100 ans, une tonne de méthane réchaufferait l’atmosphère 30 fois plus qu’une tonne de CO2.

L’IAS/SAI et d’autres approches de MRS, telles que l’ éclaircissement des nuages marins (MCB), nécessiteraient des quantités relativement faibles de matière pour produire un effet de refroidissement important. Toutefois, l’effet de refroidissement du déploiement des IAS/SAI ne persisterait que pendant 1 à 2 ans8 et les effets du MCB pendant quelques jours seulement.9

Cette courte durée de vie implique un engagement à long terme en faveur de la MRS à grande échelle une fois qu’il a commencé, car un réchauffement climatique rapide s’ensuivrait si le déploiement était soudainement et définitivement interrompu (ce que l’on appelle un choc de terminaison).10

Les effets environnementaux du CO2 et de la MRS sont très différents

Alors qu’une tonne de CO2 provenant de l’aviation a le même impact environnemental que n’importe quelle autre tonne de CO2, les impacts environnementaux des MRS sont très différents de ceux du CO2. Si les entreprises achetaient des crédits de refroidissement MRS au lieu de réduire leurs émissions de CO2, la planète ne serait peut-être pas plus chaude (à supposer qu’ils soient efficaces), mais elle connaîtrait certainement des changements environnementaux plus importants.

Le CO2 et les autres gaz à effet de serre affectent le climat de la même manière en emprisonnant une partie de la chaleur lorsqu’ils quittent l’atmosphère terrestre, ce qui réchauffe la planète et produit d’autres effets climatiques. La MRS réduirait plutôt la quantité de lumière solaire absorbée à la surface, contrecarrant les effets de réchauffement du CO2 mais produisant globalement des effets climatiques différents.

Des modifications du régime des précipitations pourraient avoir une incidence importante sur les effets du climat.11 Par rapport à une réduction équivalente du réchauffement dû au CO2, l’IAS/SAI entraînerait des réductions plus importantes des précipitations mondiales, avec un schéma de changement différent.12 Le MCB pourrait avoir des effets encore plus importants sur les précipitations mondiales et entraîner des changements plus marqués dans les schémas régionaux.13

Le CO2 et les MRS ont tous deux des effets collatéraux qui vont au-delà de leur impact sur le climat. Par exemple, le CO2 acidifie les océans – un effet collatéral que la MRS n’a pas pu traiter. L’IAS, quant à elle, aurait des répercussions sur la couche d’ozone, les pluies acides et l’aspect du ciel.14

Les crédits de refroidissement représentent une solution à un problème que les MRS n’ont pas

La décarbonation de l’économie requerra des investissements importants, en particulier dans certains secteurs. Les crédits carbone visent à remédier à ce problème en stimulant les actions rentables de réduction des émissions de carbone.

Les coûts élevés constituent l’un des principaux obstacles à la décarbonation, mais ce problème n’est pas partagé par la MRS, en particulier par la MRS/SAI. Les défis auxquels sont confrontées les idées de MRS sont plus fondamentaux que les coûts – ils comprennent des compromis complexes entre les risques, des problèmes de gouvernance importants et de profonds questionnements éthiques.

L’adoption généralisée de crédits de refroidissement pourrait accélérer et étendre le déploiement à micro-échelle de l’IAS ou d’autres approches de MRS, produisant ainsi un effet minime de refroidissement global. Toutefois, cela risquerait de compromettre les efforts déployés pour lutter contre l’accumulation des émissions de gaz à effet de serre, qui est à l’origine du problème du changement climatique.

L’adoption de crédits de refroidissement pourrait également entraîner une opposition susceptible de compromettre les efforts visant à instaurer une collaboration internationale en matière de recherche et de gouvernance dans le domaine de la MRS. Make Sunsets a initialement lancé des ballons au Mexique sans autorisation ni supervision. En réponse, le gouvernement mexicain a annoncé qu’il interdirait l’ expérimentation et le déploiement de la MRS.

En décembre 2024, les conseillers scientifiques en chef de la Commission européenne ont publié des recommandations sur la MRS, qui préconisent notamment d’interdire la vente de crédits de refroidissement MRS.

Même si la MRS peut jouer un rôle dans la future politique climatique, elle ne constituerait qu’un piètre substitut aux réductions d’émissions. Ainsi, les propositions de crédits de refroidissement qui incitent cette substitution et encouragent les premiers déploiements à micro-échelle manquent à la fois de soutien7 académique et politique.

Questions ouvertes

  • Les responsables politiques pourraient-ils soutenir l'élaboration de normes pour les crédits de refroidissement ou pourraient-ils au contraire en interdire la vente ?
  • Les crédits de refroidissement compromettent-ils à la réduction des émissions ? Les consommateurs qui acquièrent des crédits de refroidissement les considèrent-ils comme équivalents à une réduction des émissions ?
  • Quel impact les intérêts commerciaux dans le domaine des MRS auront-ils sur la confiance du public et la collaboration internationale ?

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Notes de fin d'ouvrage

  1. Le SO2 est dangereux pour la santé humaine, surtout s’il est inhalé en fortes concentrations. Lors d’un des lancements de Make Sunsets, ils ont exposé un journaliste de NPR au SO2.
  2. En janvier 2025, Make Sunsets affirme avoir rejeté 108 kg de SO2 dans la stratosphère.
  3. Archer D, Eby M, Brovkin V et coll. (2009). Durée de vie atmosphérique du dioxyde de carbone issu des combustibles fossiles. Annual review of earth and planetary sciences. 37(1):117-34. https://doi.org/10.1146/annurev.earth.031208.100206
  4. Bergero C, Gosnell G, Gielen D, et al. (2023). Les voies vers une neutralité carbone pour l’aviation. Nature Sustainability. 6(4):404-14. https://doi.org/10.1038/s41893-022-01046-9
  5. Slabe-Erker R, Dominko M, Bayar A, et al. (2022). Efficacité énergétique dans les bâtiments résidentiels et non résidentiels : Implications macroéconomiques à court terme. Building and environment. 222:109364 https://doi.org/10.1016/j.buildenv.2022.109364
  6. West TA, Wunder S, Sills EO, et al. (2023). Des mesures doivent être prises pour que les compensations des émissions de carbone liées à la conservation des forêts contribuent à l’atténuation du changement climatique. Science. 381(6660):873-7. https://doi.org/10.1126/science.ade3535
  7. Diamond MS, Wanser K, Boucher O. (2023). Les « crédits de refroidissement » ne constituent pas une solution climatique viable. Climatic Change, 176(7). https://doi.org/10.1007/s10584-023-03561-w
  8. Laakso A, Niemeier U, Visioni D, et al. (2022). Dépendance des impacts de la géo-ingénierie sur la stratégie d’injection de soufre stratosphérique – Partie 1 : Comparaison des modules d’aérosols modaux et sectionnels. Chimie et physique atmosphérique 22(1):93-118. https://doi.org/10.5194/acp-22-93-2022
  9. Feingold G, Ghate VP, Russell LM, et al. (2024). Les recherches en sciences physiques sont essentielles pour évaluer la faisabilité et les risques liés à l’éclaircissement des nuages marins. Sci. Adv (Vol. 10). https://doi.org/10.1126/sciadv.adi8594
  10. Parker A., Irvine, P.J. (2018). Le risque de choc de terminaison lié à la géo-ingénierie solaire. Earth’s Future. 6(3):456-67. https://doi.org/10.1002/2017EF000735
  11. Tracy SM, Moch JM, Eastham SD, et al. (2022). L’injection d’aérosols dans la stratosphère peut avoir une incidence sur les systèmes mondiaux et sur la santé humaine. Elementa. University of California Press. https://doi.org/10.1525/elementa.2022.00047
  12. MacMartin DG, Ricke KL, Keith DW. (2018). La géo-ingénierie solaire dans le cadre d’une stratégie globale visant à atteindre l’objectif de 1,5°C fixé à Paris. Philosophical Transactions of the Royal Society A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences. 376(2119):20160454. https://doi.org/10.1098/rsta.2016.0454
  13. Haywood JM, Jones A, Jones AC, et al. (2023). Intervention climatique utilisant l’éclaircissement des nuages marins (MCB) comparé à l’injection d’aérosols stratosphériques (IAS/SAI) dans le modèle climatique UKESM1. Atmospheric Chemistry and Physics, 23(24), 15305–15324. https://doi.org/10.5194/acp-23-15305-2023
  14. Lemon A, Keith DW, Albers SC. (2024). Sous un ciel pas si blanc : impacts visuels de l’injection d’aérosols stratosphériques. Environmental Research Letters. https://doi.org/10.1088/1748-9326/ada2ae

Citation

Pete Irvine, Kimberly Samuels-Crow, Caitlin Soch (2025) – "Crédits de refroidissement : le financement du déploiement des MRS pourrait-il compenser les émissions de CO2 ?" [Article]. Publié en ligne sur SRM360.org. Récupéré de : 'http://srm360.org/fr/article/credits-de-refroidissement-le-financement-du-deploiement-des-mrs-pourrait-il-compenser-les-emissions-de-co2/' [Ressource en ligne]

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